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Guy Aebischer a écrit un article concernant son activité comme cordinateur du programme ALBAGRI, actif dans l'attribution de crédits à la mécanisation agricole
Familiariser une population rurale, qui sort de 40 ans de dictature communiste, avec la notion de crédit comme outil de développement individuel ou collectif, tel est le défi lancé par le programme ALBAGRI.
Approcher une population paysanne qui attend, qui a perdu le sens de l'initiative personnelle et qui ne sait pas par quel bout empoigner son destin. Lui parler de production, de commercialisation, de marges, d'amortissements, de crédit, autant de mots nouveaux qu'ils doivent apprendre.
Le programme ALBAGRI sélectionne tout d'abord trois villages dans lesquels sont choisis les premiers bénéficiaires de crédits destinés à l'achat de tracteurs et d'équipements agricoles. Murqine, Manzë et Fush-Kuq. Ces trois villages sont situés dans un triangle délimité par les villes de Tirana - Lac - Durrès.
Je me souviens très bien du bonheur de Nikollë Cela, le jour ou il s'est assis au commandes de son tracteur neuf, une machine d'origine bulgare pour laquelle il avait contracté un crédit de 6800 dollars. Il manifestait la joie d'un gosse qui reçoit enfin le jouet tant convoité.
Il s'est pourtant vite rendu compte qu'il devra travailler dur pour rembourser son crédit. 1600 dollars par an, c'est une somme. Il doit travailler à façon pour ses collègues paysans qui ne peuvent le payer qu'après les récoltes.
Les crédits proposés par ALBAGRI sont pourtant attractifs : remboursables en 6 ans avec un intérêt de 9 %. C'est bien plus intéressant qu'à la Banque nationale.
Il est simple d'accorder des crédits; les demandes sont nombreuses. Encore faut-il s'assurer que le remboursement soit possible. Que le débiteur soit solvable, qu'il ait vraiement la volonté de travailler durement. Il faut se fier au préavis des autorités communales.
Et puis, il faut assurer l'intendance; pouvoir réparer rapidement en cas de panne. Là plus qu'ailleurs, le temps c'est de l'argent. Si le tracteur est bloqué à cause d'une panne, impossible de travailler; impossible de rembourser le crédit. ALBAGRI l'a compris en construisant rapidement un centre d'entretien et de réparation à Vora. Un atelier performant au service des agriculteurs mécanisés. Dépannage assuré dans les délais les plus brefs. Ndoc Ndreka a cassé l'arbre de transmission de son tracteur, en pleine saison des labours. En moins de 2 jours, il sera dépanné et pourra continuer à travailler.
Et puis, la saison avance; les champs sont labourés et semés. Les plantes et les légumes poussent. La température s'élève et les champs s'assèchent. Le manque d'eau se fait cruellement sentir. Les légumes surtout souffrent de la sécheresse. Il faut irriguer. C'est le cortège des femmes qui, toute la journée, feront la chaîne pour se passer des seaux d'eau pour arroser les champs et tenter ainsi de sauver les légumes. Activité ingrate et illusoire.
ALBAGRI a proposé des crédits pour l'achat de pompes individuelles qui ont libéré les femmes de cette harassante corvée.
Grâce aux crédits à la mécanisation accordés par ALBAGRI, ce sont plus de 1000 hectares qui sont maintenant cultivés et récoltés. Du blé, du maïs, du soja, des légumes. Rappelons nous qu'il y a deux ans seulement, le pays avait faim. ALBAGRI a été l'un des tous premiers programmes d'assistance en agriculture à entrer en action.
Après deux ans d'activité, il faut pourtant constater que le taux de remboursement est encore insuffisant. Nombreuses sont les raisons qui peuvent expliquer cette situation. les paysans sont partis de zéro. Sans les premiers sous pour acheter leurs premiers outils; ils ont du s'endetter pour acheter leurs premières semences, les engrais pour les faire pousser, les pesticides pour les protéger.
Faute de semences de bonne qualité, faute d'irrigation suffisante, les premières récoltes ont été médiocres. A Fush-Kuq, après 7 mois de sécheresse, des pluies diluviennes ont provoqué des inondations qui ont ravagé les premières récoltes. Presque pas de recettes, pas de moyens pour rembourser les crédits.
A Manzë, le prix de la tomate a chuté de 50 % par rapport au budget prévisionnel. Les Italiens ont submergé le marché avec leurs excédents sous le couvert d'aide humanitaire et ont ainsi mis l'Association Progressi en sérieuse difficulté financière. Il faudra attendre pour se faire rembourser le crédit du tracteur et de la charrue.
Pourtant, les débiteurs sont maintenant conscients de leurs engagements. Ils veulent rembourser leurs crédits car ils savent que leurs remboursement serviront à accorder de nouveaux crédits, à d'autres paysans qui attendent.
ALBAGRI a établi des rapports privilégiés de confiance avec les paysans. Nous connaissons précisément la situation personnelle de chaque débiteur. Mais nous ne faisons pas de cadeaux. Les crédits doivent être et seront remboursés. Les paysans le savent et l'acceptent.
Il faut être présents dans les villages lorsque les récoltes sont vendues. C'est là que nous pouvons procéder à des encaissements.
Mesdames et Messieurs, la mise en place d'un système de crédit ne se fait pas d'un jour à l'autre, ni même d'une année à l'autre. Il faut d'abord s'imprégner de la mentalité des gens. Gagner leur confiance. Etablir des relations profondes ou on se dit tout, ou on ne se cache rien.
Les paysans qui auront compris celà seront alors appelés à composer les premiers comités villageois qui auront la tâche d'accorder de nouveaux crédits, en connaissance de cause.
Mais produire n'est pas tout; les paysans ont également besoin de réhabiliter les infrastructures de mise en valeur de leur production, de construire leur réseau de commercialisation. Le système de crédit d'ALBAGRI les appuyera dans le financement de ces projets.
Pas de récoltes sans eau. Le système de crédit ALBAGRI pour l'achat de petites pompes permet de sauver une grande partie des récoltes. Les paysans en sont conscients et utilisent abondamment ce service.
Mesdames et Messieurs, en mon âme et conscience j'ai vraiement l'impression de faire un bon travail en Albanie. Un travail de longue haleine mais qui portera ses fruits parce qu'il est basé sur les relations humaines et le respect des partenaires.
C'est dans cet esprit que je continuerai à utiliser de façon la plus judicieuse possible les moyens financiers qui me sont octroyées pour l'aide au développement en Albanie, dans le cadre du programme ALBAGRI.
J'aimerais encore remercier très sincèrement ici la dynamique équipe de l'Ambassade de Suisse à Tirana, sous la direction de M. Christian Hauswirth pour le soutien efficace qu'elle m'apporte.
Guy Aebischer, SCM
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