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Un légisateur suisse

La rédaction d'un code du travail pour l'Albanie

En été 1993, un concours de circonstances a voulu que le Bureau International du Travail (B.I.T.) me demande de rédiger un projet de code du travail pour l'Albanie, dans le cadre d'un projet d'assistance technique financé par la Confédération suisse. Un premier séjour sur place, en août 1993, m'a permis de faire connaissance, bien que superficiellement, avec le pays et de nouer des contacts avec mes futurs interlocuteurs. La première rencontre ne fut pas vraiment facile. D'une part, les autorités albanaises souhaitaient pouvoir promulguer un nouveau code du travail dans des délais rapprochés. D'autre part, les juristes du pays (en particulier mon principal interlocuteur d'alors, l'auteur du code de 1956, formé en Union Soviétique) ressentaient mal qu'un étranger joue un rôle dans une telle entreprise. Il s'agissait là non seulement de sentiments personnels, mais, plus profondément, d'une expression de méfiance envers le monde extérieur, que connaissent les lecteurs de »Doruntine« d'Ismaïl Kadaré. Cette méfiance avait d'ailleurs été alimentée pendant de nombreuses années par la dictature socialiste.

Ma mission d'août 1993 avait été précédée d'un court déplacement, à Tirana, d'un haut fonctionnaire du siège genevois du B.I.T., qui avait suscité quelque irritation dans l'entourage du ministre du travail. C'est dire que cette première mission avait pour but de créer un bon climat. J'y fus aidé par le représentant permanent du B.I.T. à Tirana, M. Francis Jankovsky, qui vivait sur place depuis quelques mois et qui ne ménageait aucun effort pour faciliter mon intégration dans l'équipe du ministère.

Mon séjour d'août 1993 me permit de vivre sur place, les débuts de la métamorphose du pays. Ainsi, sous la dictature socialiste, il n'y avait pas de ministère du travail en Albanie; en été 1993, quelques bureaux étaient en cours d'installation dans un b‰timent relativement récent; j'arrivais avec les déménageurs. En outre, les automobiles, autrefois réservées aux autorités communistes, commençaient de se multiplier à Tirana: près du ministère, j'ai assisté à la pose des premiers feux lumineux sur la plus grande place de la ville.

Ma première mission en Albanie, décidée à bref délai, ne fut guère préparée par le B.I.T. Pendant deux jours, je fis la rituelle tournée des services, où je fus reçu par des fonctionnaires fort agréables, mais ignorant presque tous le but du rendez-vous.

D'ailleurs, en Albanie même, des difficultés ont surgi. Le ministère du travail voulait faire adopter rapidement un code du travail. Or, le ministère de la justice, chargé d'élaborer, notamment, le code civil et le code pénal, ne voulait pas ces textes fussent promulgués après le code du travail. Le ministre de la justice était en outre le professeur de droit du travail à l'Université de Tirana. Il a pu user de son influence pour retarder les efforts du ministère du travail. C'est un facteur diplomatique dont j'ai dû tenir compte en permanence, dans mon activité.

Le besoin d'un »code«
Le principe même de l'élaboration d'un code du travail peut paraître discutable. L'application de règles détaillées dans une économie à peine renaissante est évidemment difficile. Dans les mines, par exemple, les salariés n'ont pas même de quoi se laver à la fin de la journée, vu l'absence d'eau et de savon. On aurait pu songer à mettre en Ïuvre, progressivement, des dispositions qui soient, d'une part, adaptées à la situation transitoire du pays et, d'autre part, soumises à un processus constant de révision.

Toutefois, c'est pour deux raisons essentielles que le gouvernement albanais a tenu à l'adoption d'un code plutôt que de lois successives, qui auraient pu être retouchées en fonction de l'évolution économique.

D'abord, chaque changement d'orientation politique de l'État, en Albanie, s'accompagne traditionnellement de la promulgation d'un nouveau code du travail. Ce fut le cas lors du passage de l'influence yougoslave à l'influence soviétique, puis lors du passage de l'influence soviétique à l'influence chinoise, puis lors du passage de l'influence chinoise à la tentative d'autarcie. L'exercice revêt donc une portée symbolique considérable.

En outre, l'Albanie compte sur les investissements étrangers pour développer son économie: elle doit donc faire connaître aux entreprises qui s'implantent dans le pays les conditions de travail à pratiquer. Ce sont d'ailleurs ces entreprises qui, les premières, appliqueront les nouvelles normes, parce que, compte tenu de leur puissance économique, elles seront les seules à pouvoir respecter les standards minimum.

La rédaction du projet
Idéalement, la rédaction d'un nouveau code du travail devrait puiser ses racines dans les traditions nationales. Force est toutefois de constater que, dans les anciens pays communistes, ces traditions sont incompatibles avec les besoins d'une économie libéralisée, de sorte qu'elles ne peuvent être prises en considération que dans des domaines secondaires, comme celui des horaires de travail ou des jours fériés. Ainsi, c'est sur une véritable tabula rasa que je me suis efforcé de proposer des règles nouvelles pour l'Albanie. Face à cette tabula rasa, le législateur doit s'inspirer des réglementations en vigueur dans les économies de marché. Or, sur beaucoup de points importants, les droits nationaux du travail, en Occident, présentent des solutions voisines les unes des autres quant aux résultats, alors même que les chemins qui y parviennent diffèrent parfois fortement. Les modèles qui émergent ne se distinguent fondamentalement les uns des autres que dans des domaines politiquement sensibles, comme le régime du licenciement ou celui des relations collectives de travail.

Durant ma première mission en Albanie, mon travail a donc consisté à faire l'inventaire des matières à réglementer et à présenter à mon interlocuteur principal, puis au vice-ministre et au ministre du travail, les solutions envisageables en regard de divers droits européens (les droits allemand, britannique, français, italien et suisse), des normes communautaires et des conventions de l'Organisation International du Travail (O.I.T.). Cet exercice me permit de fixer la structure du code et les grandes lignes du contenu. Sans aucun doute, c'est cette partie de ma mission qui fut la plus intéressante et qui a permis les échanges les plus utiles. Ces échanges furent complétés par des entretiens avec les organisations naissantes des employeurs, ainsi qu'avec les anciens et les nouveaux syndicats.

La volonté politique du ministère était de créer des règles qui permettent à l'Albanie de se développer, sur le plan économique, en se libérant de certaines contraintes héritées du régime socialiste.

Ainsi, il me fut clairement exposé que l'on ne pouvait envisager des mécanismes de participation des travailleurs aux décisions dans les entreprises, par crainte que ces organes de participation n'entravent l'activité des employeurs. L'Albanie souhaite se distancer nettement des expériences négatives faites dans l'ex-Yougoslavie, où la participation des travailleurs à la gestion des entreprises connut, sous le communisme, une faveur particulière. Le rejet de la participation fut si fort que, par exemple, le gouvernement albanais écarta même la création, dans les entreprises, d'organes consultatifs des salariés dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité. De même, le gouvernement albanais désirait, pour faciliter la reconstruction, que la durée maximum du travail soit relativement longue, ce qui fut prévu dans le code (durée hebdomadaire maximum: en principe 48 heures).

Ce n'est que sur des points particuliers que le ministère du travail prit des options de base. Quant au reste, je demeurais libre de proposer un texte qui serait soumis aux juristes du ministère, ainsi qu'aux organisations patronales et syndicales.

Durant l'automne 1993, j'élaborai un projet, qui comportait quelque deux cents articles. Je ne ferai pas, ici, un résumé du code. L'on me permettra toutefois quelques observations sur les influences qui ont marqué son contenu.

  • Les droits fondamentaux du travailleur, en particulier la liberté syndicale et l'interdiction du travail forcé, font l'objet de dispositions très largement inspirés des instruments de l'O.I.T., qui, en ces matières, revêtent une importance reconnue.
  • La réglementation du contrat de travail est fondée sur mes connaissances du droit suisse, même si, sur plusieurs points, ont été adoptés des dispositifs trouvés dans les lois d'autres pays. Ainsi, par exemple, de l'entretien préalable au licenciement, emprunté au droit français, mais inconnu du droit suisse ou du droit allemand.
    Dans le domaine du licenciement, la tentation était forte de protéger les salariés comme ils le sont en France ou en Allemagne depuis quelques décennies (et comme ils l'étaient, en théorie, sous la dictature socialiste). On l'a vu, la convention 158 de l'O.I.T. prévoit d'ailleurs une protection stricte des salariés en cette matière. Toutefois, compte tenu de la situation économique de l'Albanie, il a été jugé préférable de ne pas effrayer les pourvoyeurs d'emploi (en particulier les entrepreneurs privés et les investisseurs étrangers) et de leur laisser la possibilité de se séparer facilement des salariés qui ne leur donneraient pas satisfaction. Seul est prohibé l'abus du droit de licencier; dans un tel cas, l'employeur doit une indemnité au travailleur. La réintégration est exclue.
    Les directives communautaires sur les licenciements collectifs et les transferts d'entreprise ont été transposées en droit albanais, pour faciliter le rapprochement de ce pays et de la Communauté européenne.
  • Les relations collectives de travail sont difficiles à mettre en place dans un pays où les organisations patronales commencent seulement de naître et où les syndicats (anciens et nouveaux) n'ont aucune expérience de la négociation. On se rappelle que, selon Lénine, dans les dictatures socialistes, les syndicats servent seulement de »courroie de transmission« entre le parti et les travailleurs.

Aujourd'hui, les syndicats sont surtout actifs dans le secteur public, exsangue et en cours de démantèlement. Dans ce secteur, la négociation collective a plus particulièrement pour objet les conditions de la liquidation des entreprises d'État. Dans le secteur privé, les salariés perçoivent des rémunérations de loin supérieures à celles des fonctionnaires ou des travailleurs des entreprises d'État. Ils sont donc moins intéressés à l'intervention des syndicats.

C'est probablement dans ce domaine que le projet est le plus novateur. Il a fallu partir de l'idée que la négociation collective du secteur privé, comme dans les autres pays en transition, se déroulerait, au moins pour commencer, au niveau des entreprises et non pas des branches. D'autre part, le mouvement syndical est fortement divisé entre, d'une part, les syndicats proches du parti démocratique et, d'autre part, les syndicats proches du parti socialiste (où se retrouvent plusieurs dignitaires de la dictature), les uns est les autres se proclamant majoritaires.

La coopération entre les syndicats nouveaux et anciens paraissant impossible, il a été prévu de créer, comme aux États-Unis et au Canada, des unités de négociation, dans lesquelles les salariés désigneraient le syndicat majoritaire. Ce dernier sera apte à négocier la convention collective, qui s'appliquera à tous les salariés occupés dans l'unité. Pour que ce système fonctionne, les syndicats devront faire l'apprentissage de la démocratie, ce qui n'ira pas sans mal. Après examen des autres solutions possibles (par exemples les solutions allemande, espagnole, française ou italienne), le pari a été fait consciemment, par les autorités albanaises, de tenter cette nouvelle voie. Compte tenu de la faiblesse de la négociation collective dans le secteur privé, aujourd'hui, on ignore si le régime institué par le code saura faire ses preuves.

En février 1994, je me rendis pour une deuxième mission à Tirana, où mon projet fut commenté par les fonctionnaires du ministère du travail et les organisations patronales et syndicales. Les syndicats proches de l'ancien régime ont, pour des raisons évidentes, marqué leur opposition aux options fondamentales prises par le gouvernement. Toutefois, ils ont trouvé un intérêt à plusieurs dispositions qui sauvegardaient leurs droits de minoritaires.

Sur la base de cette procédure de consultation, j'amendai mon texte, qui fut de nouveau soumis au B.I.T., lequel formula de nouvelles observations, après un long délai.

L'adoption du code par le parlement
En mai 1994, je me rendis à Tirana pour examiner ses observations avec le ministère du travail et mettre au point le texte définitif du projet, qui fut établi le 2 juin 1994. Le 3 novembre 1994, le gouvernement albanais approuvait ce projet, moyennant quelques modifications très secondaires. Les commissions parlementaires ont apporté de nombreuses modifications de détail. Elles ont, en outre, retranché les deux dispositions réglementant le droit de grève, car la matière était trop brûlante. Elles ont donc, sur ce point, préféré renvoyer à un décret promulgué peu après la chute de la dictature et qui ne s'insère pas parfaitement dans le code.

Face aux amendements apportés par le parlement, le gouvernement, à l'initiative de M. Fatmir Bektashi, vice-ministre du travail (sans lequel le code n'aurait probablement pas vu le jour avant de longues années) prit une attitude constante: il préféra que le parlement modifi‰t le projet, même s'il n'approuvait pas le contenu des amendements; il estimait en effet qu'une opposition du gouvernement aux amendements risquait de prolonger les débats parlementaires durant de nombreux mois, ce qu'il fallait éviter. Il faut toutefois remarquer que les amendements parlementaires, à l'exception de celui concernant le droit de grève, touchent des points de détail ou de forme.

Finalement, le code du travail fut adopté par le parlement albanais le 12 juillet 1995.

En août 1995, je me rendis à Tirana pour une série de conférences non seulement dans cette ville, mais aussi à Korça et Vlora. A cette occasion, j'étudiai le texte adopté par le parlement. Je constatai que la plupart des amendements procédaient de malendendus ou d'une mauvaise compréhension des questions traitées. Beaucoup d'entre eux introduisaient dans le code des incohérences difficilement acceptables.

Avec l'appui du ministre du travail, je rédigeai en automne 1995 un projet de loi visant à modifier le code du travail tel qu'il avait été adopté le 12 juillet 1995. Une cinquantaine d'amendements furent ainsi proposés, qui visaient à améliorer la cohérence et la forme du texte. Le 13 mars 1996, le parlement adopta tous ces amendements sauf un.

De janvier à mai 1996, avec l'aide d'un assistant albanais, qui venait d'obtenir sa licence en droit à Genève, j'élaborai les projets de décrets d'application (contrats de travail particuliers: voyageurs de commerce, travail à domicile, apprentissage; durée du travail; protection des jeunes gens et des femmes; relations collectives du travail). Le B.I.T. ne put s'associer à l'élaboration des décrets, le rythme de travail étant devenu trop soutenu. Ces décrets furent tous adoptés par le gouvernement à la fin du mois de mai 1996. Actuellement, la collaboration entre le ministère du travail albanais et la faculté de droit de Genève se poursuit sur le plan de la formation. En mai 1996 fut organisé un séminaire sur le code du travail, à l'intention des juges du Tribunal de Tirana. La même année, la Faculté de droit de Genève fit imprimer un fascicule comportant, notamment, le nouveau code du travail, le décret sur la grève et la loi sur l'inspection du travail. Ce fascicule, édité sous les auspices du ministère du travail, a été envoyé à Tirana en quelques milliers d'exemplaires. C'est un instrument de travail pour les praticiens. En 1997, un nouveau colloque a été organisé à Genève pour des fonctionnaires du ministère du travail, des juges et des avocats. Les thèmes des discussions furent, notamment, le droit albanais du contrat de travail, le droit européen du travail et les négociations collectives en droit comparé. A la fin de l'année, la Faculté de droit de Genève édita un recueil de cas pratiques de droit du travail albanais, avec les solutions détaillées. Ce fascicule, publié sous les auspices du ministère du travail, est distribué par ce dernier aux fonctionnaires, aux praticiens et aux étudiants. Il permet au lecteur de se familiariser non seulement avec les solutions albanaises, mais aussi avec la méthode juridique des pays industrialisés.

Les contacts entre le ministère du travail de Tirana et la Faculté de droit de Genève se sont maintenus malgré les événements politiques qui ont déchiré l'Albanie l'an dernier. La Faculté de droit a formé plusieurs juristes albanais, dont deux ont été assistants de droit du travail à la Faculté de Genève; un troisième étudiant albanais sera probablement engagé aux mêmes fonctions cet automne. C'est dire que les relations entre le ministère du travail albanais et la chaire de droit du travail de l'université de Genève se poursuivent dans de très bonnes conditions.

Extraits des »Cahiers des étudiants allemands en droit de Genève, no 12, 1996«

Gabriel Aubert, professeur à l'Université de Genève

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